La république gaullienne 1958-1968 (2)
II – LES COUDEES FRANCHES : LE TRIOMPHE DU GENERAL
La majorité présidentielle et la majorité parlementaire coïncident : les motions de censure sont exceptionnelles et elles n'entraînent pas le renversement du gouvernement.
NB : en 62, la seule motion de censure qui ait été adoptée sous la Vème République - contre le gouvernement Pompidou- s'est soldée par la dissolution de l'Assemblée.
a) politique intérieure :
Ø les Français sont soulagés : la France a exorcisé ses vieux démons partisans ; la nouvelle constitution fonctionne ; la décolonisation est acquise. Le général de Gaulle est populaire. Les élections législatives de 1958 donnent une forte majorité de droite : les proches de De Gaulle réunis dans l'UNR (Union pour la Nouvelle République) obtiennent 198 sièges sur 596, dont 131 réélus.
Ø D'ailleurs, il utilise pleinement ses prérogatives : il se réserve certains domaines (diplomatie ; armée…). Il a recours au référendum à plusieurs reprises - à la limite du plébiscite. En 62, le suffrage universel est institué pour l'élection présidentielle. Le général se veut un arbitre, au-dessus des partis…
Ø Le référendum de 1962, n'obtient que 62% : le général a utilisé la voie référendaire plutôt que parlementaire pour modifier la Constitution. La gauche (PC, SFIO, Radicaux) a appelé à voter "non", en criant "au coup d'état permanent" - la formule est de F.Mitterrand .
NB : en effet, le général avait le choix entre les 2 formules pour modifier la Constitution :
1- le Parlement vote le même texte dans les deux chambres et ensuite les mêmes réunis en Congrès doivent revoter le texte : c'est la voie parlementaire.
2- le texte modifié est soumis au peuple qui tranche. C'est la voie référendaire.
Ø Les législatives de 62 font apparaître une bipolarisation de la vie politique : la majorité présidentielle doit faire face à une opposition structurée.
Ø En 65, lors des élections présidentielles, le général de Gaulle n'est pas réélu au premier tour - à son grand dam : au 2ème tour, il n'obtiendra que 44% des voix, contre 32% à Mitterrand et 16% à Lecanuet.
Ø En 67, les législatives ne sont gagnées que de justesse par la majorité sortante.
L'avertissement est clair… Entre le général et les Français, la lune de miel est terminée !
b) la politique économique
Pourtant tout semble aller pour le mieux :
A- Cette période connaît une très forte croissance, près de 5% l'an, La conjoncture internationale est porteuse - "les 30 glorieuses" - mais la politique nationale l'y aide.
Ø En 58, le plan Pinay-Rueff assainit les finances :
o Dévaluation du franc, malgré les réticences du général.
o Création du "nouveau franc" ou "franc lourd" qui rend la devise française plus intéressante sur le plan international.
Nb : une dévaluation handicape les importations, mais dope les exportations.
o Le IVème plan permet d'orienter l'effort national.
Ø 1963 : le nouveau ministre des finances, Valéry Giscard d'Estaing, amorce un retour à l'initiative privée, de préférence à l'impulsion de l'Etat.
Remarque :
1- ce mouvement est conforme à ce qu'on a vu à la Libération : l'Etat, d'abord principal maître d'œuvre de la vie économique du pays, se désengage peu à peu ensuite.
2- De Gaulle, en matière économique, n'a pas d'idée préconçue : il a nationalisé en 45 ; l'économie mixte ainsi créée n'a d'intérêt que si elle fonctionne ! Pas d'idéologie en jeu…
B- l'industrie française est en pleine expansion :
Ø modernisation du secteur public ;
Ø réorganisation par accords et fusions de grandes entreprises pour les rendre concurrentielles sur le plan international. On crée de la sorte de grosses entreprises :
o Renault dans le secteur automobile ;
o Michelin pour le pneumatique ;
o Péchiney dans la chimie …
o Sacilor dans la métallurgie
Ø On lance des réalisations de prestige : le "France" , le "Concorde"", etc…
Ø Le secteur tertiaire représente ¾ des emplois créés.
Ø Pour une fois, les caisses sont pleines : le gouvernement utilise systématiquement la possibilité de convertir les dollars en or.
Cependant quelques problèmes persistent :
Ø L'énergie : le taux de couverture de la France dégringole à 25% de ses besoins ; la perte de l'Algérie oblige à importer le pétrole, tandis que les ressources nationales en charbon s'épuisent…
Ø L'inflation s'est réveillée : VGE propose un "plan de stabilisation" en 1963. Il inaugure ainsi les nombreux plans qui vont bloquer salaires et prix …et serrer la ceinture des français dans les décennies suivantes ! En 1965, c'est pratiquement la stagnation (la "stagflation" disent les économistes = inflation + stagnation ). La croissance s'essouffle.
Ø La balance commerciale est régulièrement déficitaire : le pétrole pèse lourd dans les importations, les exportations agricoles et agro-alimentaires pas assez.
C - les aspects sociaux
Ø La hausse du pouvoir d'achat et les transformations rapides engendrent des tensions et une agitation sociale permanente qui se traduisent par des grèves et des manifestations catégorielles plus ou moins continues.
Ø La France se coupe en 2 selon une ligne Le Havre-Marseille :
o Le nord-est est dynamique (métallurgie), s'enrichit, se modernise. La population augmente, s'urbanise et crée des emplois.
o Le sud-ouest agricole est à la traîne ; la désertification des zones rurales est amorcée : les jeunes partent en ville.
o En 63, on crée la DATAR (Direction à l'Aménagement du territoire) pour harmoniser le développement.
Ø Le monde paysan et la petite entreprise familiale souffrent de leur inadaptation à une économie moderne : en 62, la PAC ( = Politique Agricole Commune), l'Europe verte, a été mise en place ; l'évolution est irrémédiable.
Ø Dans le secteur public, les salariés demandent une répartition plus juste "des fruits de la croissance".
Ø Pour désamorcer la crise, le gouvernement met en place des procédures de concertation et de négociation des salaires, mais le mécontentement persiste et grandit…
d- politique extérieure :"une certaine idée de la France"
2 idées-forces dans la politique étrangère du général :
1. l'anti-américanisme qui l'animait dès la Libération lui suggère la doctrine de l'indépendance nationale en particulier vis-à-vis des USA : la France a fait explosé sa première bombe A en février 60…on peut se passer d'eux. On lance la réalisation d'une "force de frappe" dissuasive.
Þ le retrait des troupes françaises intégrées dans l'OTAN en 1966, la France restant néanmoins membre de l'organisation.
Þ une politique d'ouverture à l'Est concrétisée par un voyage à Moscou et la reprise des relations diplomatiques avec la Chine.
Þ des relations privilégiées avec le Tiers-monde : cf. le discours de Phnom Penh propose l'aide de la France pour mettre fin à la guerre du Vietnam. De même, de Gaulle a un prestige incontestable en Amérique latine (Mexico : "la mano y la mano" ).
2. La réconciliation en Europe : il poursuit l'idée de Monnet et Schuman : si l'on ne veut plus revoir de guerre en Europe, il faut que les peuples se connaissent, s'apprécient et travaillent ensemble ; quand on a des intérêts en commun, on ne se tape pas dessus …De plus, il a tissé des liens d'amitié réelle avec le chancelier allemand Adenauer, lui-aussi européen convaincu. Par contre, les Anglais se verront recalés par deux fois à leur candidature au Marché commun. En 1963, un traité franco-allemand installe "l'axe Paris-Bonn" comme armature d'une Europe confédérale, mais non supra-nationale, indépendante des USA…
3. Tout de même le général inquiète ses propres partisans par des prises de positions "originales" :
· il désapprouve Israël et la guerre des 6 jours et rééquilibre la diplomatie vers le monde arabe ;
· par l'idée - prémonitoire - de faire l' Europe de l'Atlantique jusqu'à l'Oural ";
· ou même par son "Vive le Québec libre ! " qui n'a pas finit de faire couler de l'encre !
CONCLUSION
En 68, la France se porte incontestablement mieux que dix ans plus tôt :
v les institutions sont enfin stables et permettent de gouverner
v la France se modernise tant sur le plan économique que sur le plan social
v elle a retrouvé une place enviable dans "le concert des nations".
Alors ? les Français s'ennuient et vont s'offrir un énorme happy end, en cette année 1968 où le monde entier va devenir un peu fou : la folie de la consommation ? Voire …